Peut-on réussir dans le sport de haut niveau sans se doper ?

Monday, 6 April 2020 21:19

 

Voici pour l’illustrer une anecdote parmi malheureusement tant d’autres : en stage à Saint-Raphaël quelques jours après les records du monde d’Alain Bernard, l’entraînement s’achève. Alain se dirige vers les vestiaires. Le voyant passer, une dame dit à son mari « Tiens, finalement il est moins impressionnant qu’à la télé ». Son mari réplique « C’est parce qu’aujourd’hui il n’a pas pris les bonnes piqûres ! ». Voilà le genre de réflexion auquel sont confrontés les athlètes actuellement… C’est tellement facile… D’autant plus facile que l’immense majorité des gens n’a pas la moindre idée de ce qu’est réellement le sport de haut niveau, de l’engagement de vie que cela représente vraiment, au-delà des heures d’entraînement. En tant qu’entraîneur, je peux témoigner à quel point il est difficile pour les grands sportifs de vivre au quotidien avec ces rumeurs et ces suspicions. Généralement, ils en sont bien plus touchés et peinés qu’ils ne le laissent entrevoir. Pourquoi se pose-t-on tant de question lorsqu’un être humain améliore ses propres performances de 1%, ce qui constitue 0,4 seconde sur un 100 nage libre ? Quel est l’intérêt de chercher systématiquement la faille ou la tromperie dans la performance sportive ? Quelle est la part de jalousie ou d’incompréhension dans ce type de propos ? Comme toute réussite, celle attachée au sport est d’abord et avant tout une question d’envie, de volonté d’accomplir quelque chose de bien dans notre propre parcours. L’excellence ne s’invente pas. Elle est le fruit d’un véritable engagement de vie au quotidien, qui dépasse parfois des limites raisonnables, mais aussi, on ne le répétera jamais assez, d’un épanouissement personnel des athlètes. Car, est-ce justement bien raisonnable de rire ou de pleurer pour 0,2 seconde de plus ou de moins ? Rapportés aux problèmes essentiels de la vie que sont, en premier lieu la santé, la misère, les violences... quelques dixièmes de secondes peuvent paraître bien futiles. C’est en inculquant cette « relativité », cette nécessaire prise de recul par rapport à la performance que l’on évite les dérives. Tout est question d’éducation qu’elle soit parentale, de l’encadrement sportif ou des institutions. On ne gagne pas en se dopant, on se ment, pire on finira toujours deuxième derrière soit même ! On ne sera que sa propre ombre. Si le dopage était « obligatoire » pour réussir, l’amélioration des performances serait alors essentiellement fondée sur la force et l’endurance c'est-à-dire sur des facteurs uniquement physiques ou physiologiques. Or, la performance c’est bien autre chose. Il s’agit avant tout de la capacité à produire un effort que l’on a répété des milliers de fois pour l’exprimer enfin au moment de la compétition. Les habilités motrices développées, la technique, la maîtrise de courses, la confiance accumulée, l’expérience… sont des facteurs essentiels de la réussite sportive loin devant la force et l’endurance. Enfin, il ne faut pas oublier la formidable capacité d’adaptation de l’humain. Aucune machine au monde aussi perfectionnée soit-elle ne possède cette capacité propre à évoluer, à s’inspirer des expériences passées et à les matérialiser en progrès. C’est en ayant pris conscience de toutes ces dimensions et de cette nécessaire approche globale qu’un grand sportif peut réussir au plus haut niveau sans se doper.


Performance et santé n°12, spécial dopage, réponse de M. Denis Auguin, entraîneur du pôle France, CREPS PACA, site d'Antibes.